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Névidim - Antoine Delouhans
Névidim - Antoine Delouhans
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La deuxième étoile

La deuxième étoile

La deuxième étoile

« Regarde Moïra, regarde toujours les étoiles, elles te racontent des histoires. Depuis l'Obole, les Hélénielles dessinent les lignes qui s'illuminent dans le ciel. Elles transmettent leur sagesse de cette manière, quand on prend le temps d'observer, et d'écouter leur langage.

    Certains croient qu'elles prédisent l'avenir, mais personne ne peut faire une telle chose, tant que le libre-arbitre existe. En revanche, elles content les Héros passés, elles décrivent les monstres mythiques contre lesquels ils ont dû se battre. Écoute, n'entends tu pas le chant des siècles passés ? Ne sens tu pas résonner les cors des champs de bataille ?

    Elles murmurent leurs conseils qui se glissent dans nos consciences, lorsqu'on prend le temps de les regarder, de lire leurs lignes de lumière, elles nous enseignement comment séparer le bon grain de l'ivraie.

    Souviens-toi de ça Moïra, et le jour où tu comprendras, cherche la constellation d'Orion, tu vois cette étoile qui siège au centre de sa ceinture, la deuxième à droite? Ma planète se trouve juste derrière.

    Souviens-toi de moi mon enfant. »

 

    Moïra Barrie entendait encore distinctement chacun de ces mots. Elle n'avait que dix ans lorsqu'elle entendit cette petite voix délicate qui lui prodiguait ses conseils. Ces histoires d'Hélénielles et de monstres mythiques n'avaient aucun sens, mais depuis, elle ne pouvait pas s'empêcher de regarder le ciel et de chercher la constellation d'Orion. Elle fixait toujours la deuxième étoile à droite, espérant secrètement apercevoir la planète imaginaire dont lui avait parlé le petit lutin de ses rêves.

    Aujourd'hui, elle avait trente ans. Elle avait réussi à trouver un petit emploi de bibliothécaire et s'affairait toute la journée à classer, ranger, archiver des centaines d'ouvrages plus vieux les uns que les autres. Elle aimait parcourir les pages de papier granuleux. Elle aimait respirer le parfum unique des volumes poussiéreux qui ornaient les étagères centenaires. On lui avait expliqué que les livres exposés ici étaient très rares, et elle se plaisait à rester des heures à découvrir des aventures plus folles les unes que les autres, des archives qui lui apprenaient des évènements cachés de l’Histoire de l’humanité. Elle adorait fouiller dans la « Restricted area », à laquelle, seuls certains chercheurs avaient accès. Elle avait développé une passion pour les récits du capitaine Rogers, qui relataient les exploits d’Emmanuel Wynne et de l’équipage de l’Aventure. Elle se mettait à rêver certaines nuits, de ce capitaine pirate de légende et de son crochet en guise de main gauche. Son oncle avait trouvé les récits de Moïra tellement épiques, qu’il en avait même créé une histoire à succès pour le théâtre. Il avait romancé plus que de raison les évènements historiques qu’elle lui avait narrés, mais n’est-ce pas là le but de tout écrivain ? De sublimer la réalité ?

    La jeune femme aimait détenir ces secrets que seuls quelques privilégiés partageaient. Elle se sentait comme une éminence grise de l’humanité, qui pouvait comprendre et parcourir l’histoire secrète du monde. Bien que, elle en était persuadée, il lui restait encore tant à apprendre.

    Le livre qu’elle tenait dans ses mains lui confirmait cette ignorance dont elle était l’objet. Il était très épais, composé de centaines de feuillets qui avaient été assemblés, afin de trouver une sorte de cohérence et de chronologie dans ce qui semblait être le journal de voyage d’un illustre personnage. Illustre, car outre le caractère artisanal de la reliure, on avait incrusté à la croûte de cuir des lettres d’or qui dessinaient le titre : « Voyage au cœur des mondes ». Ça n’était qu’en ouvrant la première page, que le sous-titre lui arracha un hoquet de surprise. « D’Orion à la mer méridionale, récit de voyage en Eandras, par Lucius Artorius Castus ». Elle était persuadée de connaître ce nom, mais ne savait plus où elle avait bien pu l’entendre.

    Moïra commença à tourner les pages. Tout était écrit en Latin, mais on pouvait trouver régulièrement des croquis fais à la main. Un personnage mystérieux sur une page, le schéma d’un palais sur un autre, les cartes détaillées des endroits que l’auteur avait visité. On y voyait des visages étranges, des symboles, les lettres d’une langue inconnue. L’un des chapitres attira particulièrement l’attention de la jeune femme. Sa maîtrise du latin n’était pas assez avancée pour tout comprendre, mais cette partie traitait d’une ville nommée Orion. Elle vit les dessins de centaines de tours s’élevant dans le ciel, le plan de la cité, d’une précision à couper le souffle.

    Son cœur battait à tout rompre. Il lui semblait découvrir tout un monde à travers ces pages. Mais rien de tout cela ne pouvait être vrai. Elle se demanda qui avait pu mettre une telle attention à rédiger un document, sur un pays imaginaire. Quel en était l’intérêt, et pourquoi le classer dans les livres interdits d’accès ?

     La curiosité prit le pas sur la prudence. Elle glissa le livre dans le pan de son manteau et décida de l'emmener chez elle pour tenter d'en percer tous les secrets. Elle quitta le travail à la fin de son service, et marcha pour traverser les quelques rues qui la séparaient de son domicile. Elle n'avait pas la conscience tranquille et jetait derrière elle, de petits coups d’œil méfiants. Il lui sembla même qu'une ombre se cacha sous le porche d'une maison qui faisait l'angle de sa rue, alors qu'elle se retourna une dernière fois. Elle se reprit, se fustigeant de cette paranoïa inutile. Après tout, personne n'avait connaissance de ses escapades dans la section interdite, et qui pouvait bien s’intéresser à une petite bibliothécaire et à sa passion pour les fictions latines.

    Elle grimpa quatre à quatre les marches qui menaient à sa petite mansarde, alluma sa lampe tempête et s'installa sur l'unique meuble qui se trouvait là : une petite table ronde recouverte d'un napperon blanc, seul souvenir de sa mère défunte. Elle vivait avec peu, mais elle était heureuse. Ses besoins étaient limités à un peu de nourriture pour tenir la journée, de quoi payer le loyer, et beaucoup, beaucoup de lecture. Elle déposa le livre interdit sur le napperon, prenant soin de ne pas l'abîmer, puis attrapa son dic tionnaire de latin, antique souvenir de ses années d'études et se mit au travail. Elle y passa toute la nuit, à retranscrire le plus fidèlement possible, ce qu'elle découvrit être le récit de voyage de l'auteur. Tout était si précisément décrit, si parfaitement analysé, que la jeune femme comprit. Elle comprit que cela ne pouvait pas être une simple fiction. Que pour inventer autant de détails, pour faire vibrer autant le lecteur à ces descriptions, parfois fastidieuses, il fallait soit être fou, soit être un génie.

    Elle passa un moment à relire sa traduction, essayant d'imaginer avec précision ce qui lui était décrit, jusqu'à ce qu'un bruit dans la cage d'escalier la fit sortir de sa rêverie. Elle se dirigea prudemment vers sa porte et l'ouvrit pour surprendre l'intrus. Mais il n'y avait personne. Lorsqu'elle la referma et qu'elle se retourna, Moïra s'étouffa presque de surprise et faillit tomber à la renverse. Elle se plaqua contre le mur et bougea lentement en direction de son lit, sans quitter le contact bêtement réconfortant de la cloison. Elle fixait sans le quitter des yeux, le petit être étrange qui se tenait sur la table, assis nonchalamment sur le livre de Lucius Artorius Castus. Il ne devait pas mesurer plus que la taille d'une paume. Ses minuscules vêtements étaient d'une telle finesse que l'on aurait cru que des étoiles y étaient brodées. Il fumait une minuscule pipe de bois et fixait la jeune femme, un sourcil levé, apparemment amusé par son attitude.

— Bonjour Moïra, je vois que tu as retrouvé le chemin d'Orion. As-tu bien écouté les étoiles ?