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Névidim - Antoine Delouhans
Névidim - Antoine Delouhans
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Dreamland

Dreamland

Dreamland

 Le monde est si différent vu du ciel. Les maisons ressemblent à des jouets d’enfants, disposés avec soin, selon un ordre bien précis. Les champs à perte de vue, sont séparés distinctement par des lignes régulières. L’horizon semble encore plus lointain que depuis le sol, tellement que l’on n’ose pas imaginer jusqu’où il peut bien mener.

    Richard et Bryan volaient depuis plusieurs heures au-dessus du désert du Nevada, accompagnés de deux représentants de l’US Air Force. Dans le désert, pas de maison ni de champs. Seuls les virevoltants et les montagnes millénaires qui s’érodent, ponctuent ce paysage morbide.

    Richard avait toujours eu en horreur le désert. Son manque de vie, sa chaleur, sa monotonie. Bryan était plus mitigé. Il en connaissait les risques, mais savait que la vie était bien là, cachée, à l’abri.

    — On ne va pas tarder à survoler le site d’essai, prévint Richard.

    Et en effet, la radio grésilla une seconde, avant que quelqu’un ne prenne la parole.

    — Tour de contrôle à Lockheed U-2, vous vous apprêtez à pénétrer dans une zone aérienne sous le contrôle de l’armée, vous n’êtes pas autorisés à survoler ce secteur.

    — Lockheed U-2 à tour de contrôle, autorisation numéro 5-5-8-6-4, ici Richard B, CIA, en vol de reconnaissance dans votre secteur. Nous n’entrerons pas dans le périmètre protégé, changement de cap imminent.

    Un silence de quelques secondes suivit la réponse de Richard.

    — Très bien Lockheed, bon vol.

    — Merci, tour de contrôle. Allez, on décroche, il faut qu’on trouve un terrain pour finir nos essais, on va se faire chopper.

    — Ça serait si grave ? demanda l’un des représentants de l’Air Force.

    — On est en train de tester un appareil de reconnaissance. Un avion-espion, autrement dit. Le but, c’est que ça reste secret… Ça me    parait logique, non ? s’offusqua Bryan.

    — Ça finira bien par se savoir…

    — Ce vol n’existe pas et n’existera jamais. La date officielle de mise en service sera décidée d’ici quelques mois. On est ici pour trouver un terrain qui nous permettra d’effectuer d’autres vols d’essai, avec ce modèle, et ceux qui suivront.

    — Regarde Richard, coupa Bryan, il y a une vieille piste abandonnée sur la droite.

    — C’est parfait ça, on va essayer de se poser.

    — En douceur… On a 35 millions de dollars entre les mains !

    — Sans blague, ironisa le responsable de la mission.

    Ils se posèrent sans incident. Les quatre hommes descendirent pour inspecter l’appareil. Il s’agissait de son tout premier vol et il n’aurait pas fallu que quoi que ce soit se passe mal. Leur carrière toute entière en dépendait.

    Bryan grimpa comme il le pouvait sur l’une des ailes de l’avion-espion, pour vérifier les connexions des optiques qui permettaient une surveillance photo et vidéo. Un système comme on n’en avait encore jamais vu. Alors que le technicien marmonnait tout en travaillant, le regard de Richard fut attiré par quelque chose, juste un peu plus loin sur la piste. Sous une couche épaisse de poussière et de sable, une inscription semblait tracée. Du pied, il tenta de dégager ce qu’il voyait, pour se rendre compte qu’il s’agissait d’une gravure, étendue sur presque dix mètres carré.

    — Qu’est-ce que c’est ? l’interrogea l’un des représentants de l’Air Force.

    — Je l’ignore… Je n’ai jamais vu une écriture comme celle-là.

    Des symboles, qui faisaient penser à une sorte d’écriture cunéiforme, formaient un cercle parfait. Au centre de celui-ci, s’entremêlaient des lignes droites, des cercles et d’autres symboles, chacun plus complexe que l’autre.

    — Merde, si on s’est posé sur un site archéologique, on va en entendre parler…

    Bryan les avait rejoints dans l’admiration de cette curiosité historique.

    Un silence général régna quelques secondes, quand la gravure se mit soudainement à scintiller. Ils reculèrent, sur leurs gardes.

    — Qu’est-ce que…s’étrangla Richard de stupeur.

    — Regarde ! Bryan pointait du doigt le centre du cercle.

    Une sorte de voile invisible s’écartait. Comme si la réalité s’était déchirée en deux, pour ouvrir une faille entre ce monde, et autre chose. Le paysage, intact il n’y avait que quelques secondes, pendait et se mouvait sous les assauts du vent, comme s’il s'était agit d’un vulgaire rideau à motifs.

    Les quatre militaires fixaient ce qui se passait, prostrés dans une attitude de défense. Il est toujours amusant de contempler l’être humain, face à l’inconnu. Plus que l’inconnu, face à l’impossible. Ce qui se déroulait sous leurs yeux n’avait aucun sens, et l’esprit de l’Homme ne peut assimiler l’improbable, qu’à petite dose.

    Richard finit par se reprendre et ordonna, en silence, le repli. Ils se dissimulèrent rapidement derrière un amas rocheux qui se trouvait sur leur droite. Par réflexe, ils sortirent leurs armes. Face à l’étrange : un instinct de préservation dangereux.

    C’est alors qu’ils entendirent une voix, de l’autre côté de cette faille mystérieuse.

    « Pour bien comprendre le fonctionnement de notre monde, il faut déjà maîtriser et connaître les tenants et les aboutissants de ce que l’on appelle : le Voile. Le Voile est une sorte de membrane qui sépare le monde visible du monde invisible. Le matériel de l’immatériel. Il est la résultante des croisements d’énergies, dans le tissage complexe de l’Équilibre. Ce Voile permet à la fois de séparer, mais aussi de réunir les deux dimensions. Je passerai sur les complexités des dimensions, qui sont multiples, et pas seulement au nombre de deux, mais il est essentiel de simplifier notre propos, pour arriver à vulgariser les notions principales de votre programme d’apprentis Passeurs. J’ai ouvert ici un passage vers la Terre. Pour se faire, j’ai dû interagir avec le Voile pour en écarter les fils, comme on détricoterait un lainage. Tout l’art du Passage réside dans la délicatesse que l’on mettra à œuvrer. En effet, il est essentiel de manier cette pratique avec la plus grande attention, afin de refermer ces passages, sans laisser aucune trace. Sans quoi, les failles entre les dimensions resteraient partiellement ouvertes, et créeraient des déséquilibres profonds dans les fondements de notre Univers. »

    La voix s’étouffa peu à peu, à mesure que la faille se refermait.

    Les quatre hommes restèrent cois.

    Le Voile était maintenant complètement refermé. Ils attendirent encore quelques secondes, silencieux, puis Richard se mit à courir en direction du cercle. Aucune trace. Les symboles, eux, étaient toujours là. Il fit demi-tour, remonta dans l’avion-espion et alluma un écran.

    — Tu vas faire quoi ? lui demanda Bryan.

    — Il faut prévenir Langley. Il faut trouver ce que c’est.

    — Ils vont nous prendre pour des fous.

    — Pas si on leur montre. Heureusement pour nous, le système était en route.

    Sur l’écran s’affichait la vidéo de surveillance, que Richard rembobinait.

    — Prends la carte, dis-moi où l’on est exactement.

    Bryan vérifia leurs coordonnées, attrapa la carte et entoura le point précis de leur localisation.

    — On est au centre de la zone 51 du territoire militaire.

    — Zone 51, murmura Richard en l’inscrivant sur la cassette contenant les précieuses images. Il hésita un moment, ajouta deux points et la mention : Dreamland.